[Pagina precedente]...que les Grecs ont tous les vices des peuples sauvages; ils cédent a toutes les impulsions; la violence, l'indiscipline, les terreurs superstitieuses règnent dans leur camp. Ce n'est pas parmi eux, c'est chez les Troyens, que l'on trouve l'ordre, l'union, l'amour de la patrie, et ces sentimens généreux, qui font croire à une civilisation naissante, ou même déjà avancée. C'est sous ce point de vue, qui est conforme à ce que nous lisons dans Homère, que M. Schubarth envisage l'Odyssée et l'Iliade. Dans l'Iliade, Homère a chanté une guerre qui doit se terminer par la destruction de Troie, mais dont l'auteur laisse à peine entrevoir l'issue funeste placée avec art dans une perspective vague et lointaine. L'Odyssée retrace les suites malheureuses de cetre lutte. Les Troyens sont pour le lecteur l'objet d'une tendre pitié et de ce sentiment d'admiration, que font naître les actions nobles et généreuses, le patriotisme et le dévouement; toutefois ils doivent succomber après dix ans d'une défense héroïque, car ils sont inférieurs en nombre, et le Destin leur est contraire. Par opposition à certe peinture, Homère nous montre les Grecs animés d'un esprit de vengeance, vains, présomptueux, en proie à la discorde, toujours prêts à abuser de leur force. Le sort veut la ruine de Troie, et les Troyens supportent avec résignation ce malheur, [4314]qu'ils n'ont pas mérité, mais que les dieux leur envoient; tandis que les Grecs ne doivent qu'à eux-mêmes, à leur propres fautes, aux vices grossiers auxquels ils s'abandonnent, les justes punitions que ces mêmes dieux leur infligent.
C'est par des inductions semblable que M. Schubarth (p.139-238.), s'ecartant de l'opinion reçue, essaie de démontrer que l'auteur des deux épopées grecques est né sur le sol de Troie (cioè dov'era stata Troia). Il faut convenir, en effet, que le poëte (car M. Schubarth n'admet pas avec Wolf que l'Iliade et l'Odyssée soient des productions dues à plusieurs rhapsodes), s'il eût été Ionien, aurait choisi pour la première de ses épopées un sujet bien étrange, bien peu propre à flatter les Grecs, auxquels il n'accorde d'autres avantages que ceux qui naissent de la supériorité des forces physiques. Tant que dure la guerre, la discorde les divise, et ils ne déploient d'autre vertu que leur courage; mais ce courage est sauvage et vindicatif. Sortis enfin victorieux de la lutte, c'est par de nouveaux désordres et de sanglantes querelles qu'ils signalent ce retour à la paix.
Il est très-remarquable que le poëte ait interrompu son chant au moment même où il n'aurait pu éviter de parler de la prise de la ville, et de tracer le tableau de sa destruction. Est-il vraisemblable qu'il se fût arrêté si brusquement, et eût négligé de célébrer un événement favorable aux Grecs, s'il s'avait eu à coeur de faire [4315]oublier aux Troyens, ses compatriotes, l'instant malheureux de leur chute?277 On voit partout, dans l'Odyssée comme dans l'Iliade, que le poëte porte de l'affection aux Troyens. Énée, roi futur de Troie, ce héros favorisé des dieux, est sauvé par Neptune, le plus puissant dieu des Grecs. Leur plus dangereux ennemi, Hector, est peint sous des couleurs toujours favorables. Hector a le sentiment de la justice de sa cause; il n'est pas même soutenu par l'espoir du succès; mais il est pénétré de ses devoirs envers la patrie; il s'arrache aux affections les plus tendres, et s'immole sans hésiter. Sa mort est une expiation volontaire d'un seul instant d'oubli, d'une faute qui n'est pas la sienne. Mais les dieux, qui l'ont mal récompensé pendant sa vie, viennent eux-mêmes assister à ses funérailles, tandis qu'Achille vainqueur est tourmenté du pressentiment et des angoisses d'une mort prochaine.
Les bornes de ce journal ne nous permettent pas de donner plus d'étendue à cette analyse. Nous ne pouvons qu'engager nos lecteurs à lire dans l'ouvrage même ce que dit M. Schubarth pour appuyer une hypothèse qui nous paraît admissible, et qu'il développe avec un talent remarquable. (Cavato e tradotto dall'Jena. allg. Lit. Zeit. Gazzetta letteraria di Iena, Settemb. 1823.). Bulletin de Férussac, ec. loc. sup. cit. Juillet. tome 2. art.54. p.45-47.
Dalle mie riflessioni sopra Omero ec. si vede quanto male dai costumi [4316]fieri e selvaggi, dallo spirito di vendetta, dai vantaggi puramente fisici attribuiti da Omero ai Greci, e dalla compassione attaccata alla sorte dei Troiani, si arguisca che l'Iliade e l'Odissea furono composti in ispirito troiano e non greco, e quindi apparentemente per li Troiani, o nati sul suolo troiano, e non per li Greci di Jonia. Anzi si vede che appunto da queste cose medesime si dee concludere il contrario.
(24 6. Lug. 1828.). V. p.4447.
Da applicarsi pure alle mie riflessioni sopra Omero e l'epopea. Homerische Vorschule, etc. Introduction à l'étude de l'Iliade et de l'Odyssée; par W. Müller. 192. p. in 8. Leipzig; 1824. Élève du philologue Wolf, M. Müller annonce dans la préface qu'il est intimement persuadé de la vérité et de la solidité des opinions développées par son maître dans ses fameux Prolégomènes de l'Iliade, et qu'ayant médité sur ce sujet après avoir suivi les cours de Wolf, il croit devoir présenter une suite de considérations que cette matière lui a suggérées. Il avertit, en passant, le public de se mettre en garde contre les hypothèses trop hasardées que quelques savans cherchent à faire accréditer; il rappelle notamment les opinions de Payne Knight, savant anglais, mort récemment, et de Bernard Thiersch, qui n'est pas l'auteur de la Grammaire grecque publiée par M. Thiersch à Munich. M. Müller s'étonne que la nouvelle société littéraire de Londres ait couronné récemment un mémoire dans lequel on fait d'Homère le copiste de Moïse. (Dissertation on the age of Homer, his writings and bis genius. Londres; 1823.).
[4317]Pour bien comprendre la manière dont l'Iliade et l'Odyssée ont été composées, il faut se pénétrer de l'esprit et des moeurs du peuple ionien. Ces colons grecs, amis des arts et de la poésie, avaient l'esprit vif et mobile, et s'interessaient avec la candeur de l'enfance aux événemens. Un poëte était chez eux le compagnon constant de tous les plaisirs. Partout où l'on se rassemblait, dans les banquets comme dans les assemblées publiques, la lyre du poëte faisait partie des réjouissances. Le poëte, ainsi que le ménestrel au moyen âge, exerçait un état généralement honoré, et était accueilli avec hospitalité partout où il faisait résonner sa lyre. Il ne chantait sans doute que ses inspirations particulières, qui souvent étaient des improvisations. (I menestrelli cantavano ben cose d'altri, e non solo d'altri, ma scritte espressamente dai dotti del tempo, in versi, per esser cantati o recitati da quelli. V. l'articolo del Perticari sopra il poemetto della Passione di Cristo attribuito al Boccaccio.) Ces morceaux n'étaient probablement pas très-longs, car dans les usages anciens nous ne voyons jamais les chants du poëte que comme des intermèdes. (Quando il poeta o il cantore cantava nelle piazze ec. in mezzo al popolo, come s'usa anche oggi, come a Napoli un del volgo legge alla plebe il Furioso o il Ricciardetto ec. e lo spiega in napoletano; allora i canti non erano intermezzi, erano come furon poi gli spettacoli ed acroamata.)278 La guerre de Troie, qui, sous tous les rapports, était un sujet propre à la poésie, était à peine finie, que dans les villes d'Ionie la lyre accompagnait déjà les vers composés sur cet événement [4318]national. Homère se distinguait parmi eux; mais il est évident qu'avant ce poëte l'usage des chants lyriques sur les événements publiques existait, et qu'il n'a point été le premier chantre national. (Femio, Demodoco ec.) Le rhythme de sa poésie prouve que ses vers étaient chantés et accompagnés de la lyre, peut-être aussi de la danse, du moins de mouvemens rhythmiques. (Il nome di (??, di epico, di epopea, di (?????(? applicato con particolarità ai versi, poemi, e poeti narrativi, prova, secondo me, sì per la sua etimologia, o senso primitivo, di parola ((???), dire ((?????(??) ec., sì per la distinzione da ?(?????????(??????????(? ec. che le poesie narrative non avevano alcuna melodia, non erano cantate ma recitate, o al più cantate a recitativo, come poi i versi non lirici de' drammi, e come si canterebbero i nostri endecasillabi sciolti. Il verso epico (quasi parlativo) era la prosa di que' tempi, ne' quali non si componeva se non in versi. Omero, dice assai bene il Courier, nella pref. al Saggio di traduz. di Erodoto, fu uno storico, a que' tempi che le storie non si solevano nè sapevano ancora narrare in prosa. Non credo dunque ben dette liriche le sue poesie, sebben forse accompagnate da qualche strumento, come i recitativi de' drammi. V. p.4328. capoverso 1. e p.4390. fin.).
Il est ridicule de chercher dans les poësies homériques de savantes allégories et un sens profond: les poëtes ioniens rendaient naturellement les impressions faites sur leur imagination par les actions des héros, et ne se livraient point à des combinaisons étudiées; c'est la vie publique et particulière de leur temps qu'ils nous retracent et rien de plus. Ils n'écrivaient point, ils chantaient, et leurs inspirations [4319]se transmettaient par la tradition comme chez des peuples modernes à moitié barbares. (Le conseiller aulique Thiersch a lu ensuite (à la séance publique de la classe de philologie et d'histoire, de l'Académie des sciences de Munich, le 14 août, 1824.) un mémoire sur les poésies épiques transmises de bouche en bouche par le peuple. Ce qui a donné lieu à ce mémoire, c'est un écrit du professeur Vater à Halle, sur les longues poésies héroïques serviennes récemment publiées, et comparées à celles d'Homère et d'Ossian. Bull. de Férussac etc. Novemb. 1824. t.2. art.302. p.321.) (V. p.4336. fine.)
On a voulu voir un art savant dans les divers dialectes qui se trouvent dans Homère. Ce prétendu mélange des dialectes n'est point l'ouvrage du chantre: de son temps les Ioniens parlaient ainsi, et ce n'est que plus tard que la langue grecque se modifia, et que diverses provinces telles que l'Éolie, l'Ionie et la Doride conservèrent des restes de l'ancien idiome, restes qui alors furent considérés comme autant de dialectes divers.
Il paraît qu' Homère a vécu au 2e siècle après la destruction de Troie. L'éclat de son génie a fait oublier les noms des autres poëtes qui chantaient comme lui les hauts-faits des Grecs. Mais sans doute il a chanté comme eux des chants lyriques détachés, et il n'a probablement jamais songé à composer un poëme épique, et encore moins à en écrire un. De là ce qu'on dit de sa cécité et de son indigence, il aura passé dans la suite pour aveugle parce qu'il n'avait rien écrit; il aura passé pour indigent parce qu'il allait d'une ville a l'autre. Après sa mort, la réputation de ses chants alla toujours en [4320]croissant; les poëtes, perdant d'ailleurs le génie inventif, chantèrent les poésies d'Homère; il y eut alors des homérides. Pour flatter la vanité des villes dans lesquelles ils chantaient, ils intercalaient dans ces vers de leur prédécesseur, des éloges de villes et de peuples. On prétend que Lycurgue fut le premier qui fit rassembler et rédiger les poésies d'Homère. Mais ce législateur qui ne fit pas écrire ses propres lois, comment se serait-il occupé à faire écrire des vers dans Sparte ville pauvre et grossière? Solon régla l'ordre dans lequel les chantres dans les fêtes publiques (in queste, tali poésie non erano, apparemment, intermezzi, tanto più se si cantavano in ordine) devaient chanter les diverses poésies homériques, et Pisistrate les fit diviser ensuite en deux grands poëmes, l'Iliade et l'Odyssée. Aristarque les subdivisa en 24 livres d'après le nombre des lettres de l'alphabet grec. Alors se présenta une classe d'hommes, les diaskeuastes, espèce de censeurs ou de critiques qui cherchèrent à mettre de l'harmonie et de l'accord dans ces chants ainsi réunis et coordonnés; ils lièrent des parties détachées, levèrent des cont...
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